Marc Antoine Charpentier

Article de Sylvie Lidgi

Il fallait que je vous le dise : je suis tombĆ©e en amour. Et plus je le dĆ©couvre, plus je lā€™Ć©coute, plus je lā€™aime.

Je ne connaissais pas ce merveilleux compositeur jusquā€™Ć  ce quā€™il soit Ć  notre programme de lā€™annĆ©e du confinement. Non, ce nā€™est pas tout Ć  fait exact. Comme la plupart des choristes, je connaissais bien sĆ»r le gĆ©nĆ©rique de lā€™Eurovision, du temps de lā€™ORTF. Mais je nā€™ai jamais su (ni demandĆ©) qui lā€™avait composĆ©. Comme M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, je nā€™avais pas conscience que la tĆ©lĆ© publique rendait lĆ  un vibrant hommage Ć  notre compositeur et Ć  lā€™introduction (purement instrumentale !) de son Te Deum. Le Te aeternum patrem que nous chantons (qui fait suite au Te deum laudamus du soliste) fut pour moi une premiĆØre rĆ©vĆ©lation.

Parce que figurez vous que ce musicien hors pair, qui fut aussi chanteur (haute-contre ā€” c’est-Ć -dire, en gros, tĆ©nor 1.) a Ć©crit des chansons Ć  boire, trĆØs drĆ“les et des tas dā€™autres piĆØces de musique bien plus lĆ©gĆØres que ses sublimes Magnificats. HĆ©rĆ©tique que je suis, jā€™ajoute un s Ć  Magnificat parce quā€™il en a Ć©crit pas moins de 8. Un Magnificat Ć  8 voix, qui mā€™a fascinĆ©e quand je lā€™ai entendu pour la premiĆØre fois, scotchĆ©e Ć  ce que jā€™entendais ; un autre pour 3 voix dā€™hommes sublime (ici avec Marc Mauillon, taille c’est-Ć -dire barytĆ©nor) et celui lĆ  (H78) aussi que je nā€™ai pas pu chanter, Covid inflige.

Marc-Antoine Charpentier (car cā€™est de lui quā€™il sā€™agit)  fut lā€™ami de MoliĆØre mais nā€™apprĆ©ciait sans doute pas vraiment Lulli on verra pourquoi ; la duchesse de Guise fut sa protectrice. A lā€™Ć¢ge de 45 ans il est entrĆ© au service des JĆ©suites et a alors composĆ© beaucoup de musique sacrĆ©e mais pas seulement.

Il vivait au siĆØcle de Louis XIV, cā€™est un contemporain de MoliĆØre et de Corneille. Lecteur, vous connaissez le Cid (ā€¦et nous fumes cinq mille en arrivant au port) et Rodrigue amoureux de ChimĆØne. Saviez-vous que les fameuses stances (PercĆ© jusques au fond du cœur/D’une atteinte imprĆ©vue aussi bien que mortelle, etc.) ont Ć©tĆ© mises en musique ? Et par qui ? Marc-Antoine Charpentier bien sĆ»r (1681) !

Ecoutez, prĆŖtez lā€™oreille et vous entendrez les ornements (mordants, trilles et autres appogiatures) dont le chanteur agrĆ©mente subtilement le texte musical. Ne cherchez pasā€¦ ces notes dĆ©coratives, typiques des airs de cour, ne figurent pas dans la partition ‼

Charpentier est lā€™un des compositeurs les plus prolifiques de la pĆ©riode baroque en France. ā€œIl domine le XVIIe siĆØcle musical franƧais par l’ampleur de sa production et par la puissance de ses compositions.ā€ L’œuvre complĆØte de Charpentier comptait Ć  sa mort environ 800 numĆ©ros d’opus (semble-t-il) mais il nā€™en reste aujourd’hui que 500 piĆØces (environ) qu’il a pris soin lui-mĆŖme de classer. Enorme production musicale, et de qualitĆ© ! Pourtant on ne sait pas grand-chose de lui.

Qui Ć©tait donc ce Marc-Antoine Charpentier ?

On sait quā€™il est nĆ© en Ǝle-de-France en 1643 et mort Ć  Paris le 24 fĆ©vrier 1704.

Sa famille, originaire de Meaux, est d’un rang social apprĆ©ciable, au service de la Couronne et de l’Eglise. Son (arriĆØre ?) grand pĆØre Ć©tait mĆ©gissier (tanneur). Son pĆØre, installĆ© Ć  Paris, maĆ®tre Ć©crivain, rĆ©dige les actes publics ou privĆ©s pour la bonne sociĆ©tĆ©. Son frĆØre Armand-Jean, reprend les charges de son pĆØre. Sa sœur Ɖtiennette, sera lingĆØre, Marie, religieuse et Ɖlisabeth, Ć©pouse d’un maĆ®tre de danse et musicien.

Marc-Antoine Charpentier a occupĆ© des postes prestigieux durant toute sa carriĆØre, sa musique a rĆ©sonnĆ© dans tous les hauts lieux de la vie artistique et intellectuelle du royaume. Pourtant, peu de tĆ©moignages de ses contemporains nous sont parvenus et lā€™homme reste Ć©tonnamment Ć©nigmatique. Il Ć©tait dā€™ailleurs plus ou moins tombĆ© dans lā€™oubli jusquā€™Ć  ce que dans les annĆ©es 1950 son œuvre suscite Ć  nouveau un rĆ©el intĆ©rĆŖt grĆ¢ce notamment Ć  la publication Ć  la fin de la guerre du livre Claude Crussard Charpentier un musicien oubliĆ© (ed. Flury, 1945).

Charpentier a abordĆ© tous les genres musicaux mais ce fut surtout un compositeur de musique vocale dans laquelle la qualitĆ© expressive du texte est au cœur de lā€™Ć©criture musicale. Autrement dit, la musique est un support dĆ©licat pour des discours galants qui chantent les nuances de lā€™Ć©tat amoureux (la belle Ć©tant souvent cruelle), cā€™est un faire-valoir de la poĆ©sie du temps, un prĆ©texte Ć  la truculence riche de doubles sens, souvent grivoise, des chansons Ć  boire mais aussi de discours plus sĆ©rieux que lā€™on appellerait de nos jours ā€˜chansons Ć  texteā€™, qui Ć  lā€™Ć©poque avaient pour but de transmettre des messages spirituels c’est-Ć -dire moraux.

Cā€™est un touche-Ć -tout qui a excellĆ© tant dans le domaine sacrĆ© que dans le domaine profane : il a Ć©crit des divertissements pour des cours plus ou moins importantes, de la musique de scĆØne, des opĆ©ras (OrphĆ©e aux Enfers que jā€™ai eu le plaisir de chanter lā€™Ć©tĆ© dernier), des chansons Ć  boire, etc. Citons Fanchon la gentille Fanchon ; Celle qui fait tout mon tourment. Que direz-vous de cet intermĆØde du Mariage forcĆ© de MoliĆØre, ici avec Cyril Auvity (haute-contre) et Marc Mauillon (basse-taille). ApprĆ©ciez quand mĆŖme les belles harmonies des derniĆØres mesures ! et ces sympathiques chansons Ć  boire Ayant bu du vin clairet ; Beaux petits yeux d’Ć©carlate Ou encore cet air de cours un peu coquin Sans frayeur dans ce bois ?

Juste pour avoir une idĆ©e de lā€™ampleur de sa crĆ©ativitĆ©. Je ne peux citer toutes les chansons que jā€™ai entendues en concert cet Ć©tĆ© 2021, interprĆ©tĆ©es par lā€™ensemble Les EpopĆ©es (dirigĆ©es par StĆ©phane Fuget). Et oui, la musique peut-ĆŖtre tragique mais aussi franchement drĆ“le ā€” rire gras ou sourire malicieux.

WikipĆ©dia nā€™est pas moins Ć©logieux quand il explique que Marc-Antoine Charpentier est ā€œle musicien de l’effusion et du lyrisme mais aussi de l’intĆ©rioritĆ©, pratiquant dissonances, art du chromatisme et de la modulation avec une audace inĆ©galĆ©e. Musique du contraste, traversĆ©e par le pathĆ©tique, la sensualitĆ© et les silences. Il est le musicien de tous les paradoxesā€. On retrouvera le lyrisme et lā€™effusion plutĆ“t dans ses œuvres de musique sacrĆ©e, ses motets (Ć  grand ou petit effectif), ses oratorios, ses messes, psaumes, Magnificat, Litanies et jā€™en passe.

Sa carriĆØre est un peu mieux connue

Il commence sa carriĆØre en se rendant en Italie en 1665 pour faire (dit-on) des Ć©tudes d’architecture, une autre lĆ©gende veut que ce soient des Ć©tudes de peinture. Il reste 3 ans Ć  Rome oĆ¹ il Ć©tudie la musique en particulier auprĆØs de lā€™Ć©minent Giacomo Carissimi, le maĆ®tre de l’oratorio et de la mise en musique des histoires pieuses. Cependant, nous ne savons rien ou pas grand chose de ce sĆ©jour romain. Charpentier restera pourtant marquĆ© par le style italien dont sa musique est imprĆ©gnĆ©e.

Peu aprĆØs son retour Ć  Paris, en 1670, il entre au service de la Duchesse de Guise en tant que maĆ®tre de musique (compositeur et chanteur). La duchesse de Guise ā€” Marie de Lorraine, dite Mademoiselle de Guise ā€” entretient un ensemble musical de qualitĆ©. Charpentier est logĆ© Ć  l’hĆ“tel de Guise. Il reste de 1670 Ć  1688 Ć  son service. Il composera beaucoup de musique religieuse pour cette petite cour (dont ce qui deviendra le Miserere des JĆ©suites Ć  la faveur de quelques menus amĆ©nagements).

Il est lui-mĆŖme chanteur et tient rĆ©guliĆØrement chez la Duchesse de Guise une partie de haute-contre (tĆ©nor) comme lā€™attestent plusieurs de ses partitions.

AuprĆØs de MoliĆØre

En 1672, Jean-Baptiste Lully ā€” son ainĆ© de 11 ans ā€” obtient un privilĆØge qui lui confĆØre une sorte de monopole sur les airs dā€™opĆ©ra et apparentĆ©s. Lully se brouille avec MoliĆØre aprĆØs 18 ans de collaboration et de crĆ©ation thĆ©Ć¢trale. MoliĆØre cherche alors un nouveau compositeur pour Ć©crire les intermĆØdes musicaux de ses comĆ©dies-ballets. AprĆØs avoir obtenu du roi un adoucissement du monopole de Lully, il s’adresse Ć  Charpentier pour composer la musique des entractes de CircĆ© et d’AndromĆØde, ainsi que des scĆØnes chantĆ©es pour les reprises du Mariage forcĆ© (1672) et des piĆØces musicales du Malade imaginaire dont la partition devra ĆŖtre remaniĆ©e pour se plier Ć  la censure exercĆ©e par la toute nouvelle AcadĆ©mie royale de musique. Ces intermĆØdes musicaux occupent jusquā€™Ć  une heure du spectacle.

AprĆØs la mort de MoliĆØre, Charpentier continuera de travailler pour la troupe. Puis aprĆØs 1680 pour la ComĆ©die-FranƧaise fraichement crĆ©Ć©e.

A la fin des annĆ©es 1670, le compositeur est chargĆ© de fournir la musique des offices du Dauphin. Lors du concours destinĆ© Ć  recruter les sous-maĆ®tres de la Chapelle royale, Charpentier tombe malade et ne peut se prĆ©senter Ć  l’Ć©preuve. Le poste lui Ć©chappe donc. Mais Louis XIV le gratifie dā€™une pension pour le dĆ©dommager de son indisposition ou, plus certainement, pour le remercier de son service auprĆØs de son fils le Dauphin.

Le Mercure galant (revue fondĆ©e en 1672) raconte dans son numĆ©ro de mars 1681 que ā€œallant chez le Dauphin Ć  Saint-Cloud, le roi avait congĆ©diĆ© les musiciens de sa propre Chapelle pour pouvoir entendre chaque jour ceux de son fils, qui chantaient les motets de Charpentierā€. En revanche, on ignore si Les Plaisirs de Versailles, qui font explicitement allusion aux soirĆ©es de fĆŖtes de la cour (les soirĆ©es dites d’appartements), ont Ć©tĆ© jouĆ©s in loco šŸ™‚

Lully meurt en 1687. Les compositeurs franƧais peuvent enfin composer des opĆ©ras. En 1690, Charpentier donne des leƧons de composition au duc de Chartres, neveu du roi et cousin de Mlle de Guise. Il compose alors MĆ©dĆ©e, sur un livret de Thomas Corneille (frĆØre de Pierre). AprĆØs tant d’annĆ©es Ć  ne pouvoir faire jouer autre chose que des pastorales et de la musique religieuse Ć  cause du monopole de Lully, Charpentier accĆØde enfin Ć  la scĆØne de l’OpĆ©ra. Il avait dĆ©jĆ  conquis le public avec son Malade Imaginaire, comĆ©die-ballet rĆ©alisĆ©e avec MoliĆØre vingt ans auparavant. Mais MĆ©dĆ©e est un Ć©chec.

Au service des JĆ©suites

ƀ la mort de Mlle de Guise en 1688, sa protectrice pendant 18 ans, Charpentier entre au service des JĆ©suites. Il devient maĆ®tre de musique du collĆØge Louis-le-Grand, puis de l’Ć©glise Saint-Louis, prĆØs de la Bastille. C’est Ć  cette Ć©poque qu’il compose la majeure partie de son œuvre sacrĆ©e.

Il se consacrera dĆ©sormais Ć  la musique religieuse. Il est le compositeur des CarmĆ©lites de la rue du Bouloir, de l’abbaye de Montmartre, de l’abbaye-aux-Bois et de Port-Royal. Il Ć©crit David et Jonathas, une tragĆ©die biblique sur un texte en latin, point culminant de sa longue collaboration avec les JĆ©suites.

On s’Ć©tonnera de la libertĆ© dont jouissaient les JĆ©suites et leur collĆØge : non seulement ils contreviennent Ć  l’interdiction qui est faite de reprĆ©senter des piĆØces en musique hors de l’AcadĆ©mie royale de musique mais la structure de David et Jonathas contient implicitement une critique du Ā« mauvais roi Ā» (que seul Dieu a droit de chĆ¢tier), on y trouve aussi un homo-Ć©rotisme Ć  peine voilĆ© qui irrigue les rapports entre les deux protagonistes ! La piĆØce recueillera finalement, un succĆØs moins mitigĆ© que MĆ©dĆ©e.

Le Te Deum en rĆ© majeur que nous chantons (H. 146) est un grand motet versaillais (forme musicale nĆ©e Ć  la cour de Louis XIV). Il a Ć©tĆ© composĆ© entre 1688 et 1698, durant le sĆ©jour du compositeur Ć  l’Ć©glise jĆ©suite Saint-Louis. Un Te Deum laudamus est un chant de louanges et d’actions de grĆ¢ces qui se chante Ć  la fin des matines, les dimanches et jours de fĆŖte

Le Ave Regina caelorum (H 45) que nous chantons Ć©galement, a Ć©tĆ© composĆ© vers 1696. Le Regina Caeli(H46) que nous avons travaillĆ© en zoom date aussi de 1696. Si vous Ć©coutez cette version, vous noterez que lā€™interprĆ©tation est la nouvelle modeĀ : la prononciation du latin se fait Ć  la franƧaise avec des u pointus et des c qui se prononcent c (et non tchā€¦)

En 1698, Charpentier est nommĆ© maĆ®tre de musique des enfants de la Sainte-Chapelle du Palais, l’un des postes les plus enviables, aprĆØs celui de la Chapelle Royale, pour un musicien de lā€™Ć©poque. Il enseigne le solfĆØge, le plain-chant, le contrepoint et la technique vocale. MalgrĆ© les intrigues multiples de ce milieu, les six annĆ©es qu’il passe dans l’institution semblent s’ĆŖtre dĆ©roulĆ©es paisiblement, sans doute laborieusement vu la charge de travail imposĆ©e.

Il meurt six ans plus tard, en 1704.

Pour conclure,

Je ne rĆ©siste pas Ć  vous faire Ć©couter lā€™histoire du Sieur Dassoucy, contemporain de Charpentier mais moins bien loti socialement. Voici son autobiographie drĆ“le et truculente avec intermĆØdes chantĆ©s, par lā€™ensemble Faenza, qui vous Ć©clairera sur les mœurs de lā€™Ć©poque en matiĆØre musicaleā€¦

Charles Coypeau Dassoucy : Airs Ć  quatre parties (1653) et textes (Faenza, dir. Marco Horvat)

Sources principales : Wikipedia et Diapason

https://www.diapasonmag.fr/histoire/un-autre-24-fevrier-1704-la-mort-de-marc-antoine-charpentier-32299